Kinshasa: récit d'une mort ordinaire
A force de vivre au quotidien dans une ville délabrée, celle-ci a pris à mes yeux un caractère de normalité. A mon arrivée à Kin, je vous ai parlé de plusieurs gangrènes de cette ville. Parmi celles-ci, il y a la circulation routière: Les routes délabrées; l'absence de code de la route ou en tout cas de son application; les chauffards; les véhicules de ministres qui roulent à contre-sens et à toute vitesse; les roulages (policiers affectés à la circulation) qui se laissent "acheter", créant ainsi des embouteillages monstres à la faveur d'un usager qui aura balancé un billet assez gros dans la main du fonctionnaire. Etc. etc. etc. J'avais donc fini par m'y habituer. Mais la déliquescence de cet état m'a de nouveau frappé de plein fouet dimanche matin, lorsque j'ai entendu le récit de l'accident mortel de mon collègue Richard Bilenge, décédé dans un frontal nocturne avec un camion.
A Kinshasa, pas d'éclairage public la nuit bien sûr. Un trou dans la route, comme toujours. Le camion veut l'éviter, se déplace sur la bande de gauche. Normal. Sauf que, ce camion-là n'a pas de phares. Richard ne le voit pas, et c'est le crash.
Richard, toujours vivant, est coincé dans sa titinne. Le chauffeur du camion s'enfuit. Sans prévenir qui que ce soit, évidemment. Le camion, lui, reste sur place. Il venait livrer des pains aux boulangeries de la ville. Quand les militaires arrivent sur place, ils se disputent la répartition des pains au lieu de tenter de sortir Richard qui agonise. Pire: ils tirent en l'air pour éviter que les civils ne s'en mêlent. Une fois servis, ils laissent les riverains se charger de sortir le corps brisé de Richard de sa prison. Puis, il faut encore attendre qu'une voiture puisse l'emmener à l'hôpital. Mais à 4 heures du matin à Kinshasa, presque aucun véhicule ne circule dans les rues sombres de la capitale. Ce n'est qu'à 5 heures du matin, soit deux heures après son accident, que l'on trouve un véhicule pour l'y emmener. Mais là, il n'y a plus besoin de se dépêcher: Richard est mort quand il passe le seuil de l'hôpital Mama Yemo.